Vers les dortoirs garçons

[ –> Chambre pâle]

Siloë se retourna pour voir si l'enseignante la suivait. La jeune femme, quelques mètres derrière elle, marchait en regardant à droite et à gauche, manquant à chaque pas de rentrer dans un mur ou une porte.

*Autant d'attention qu'un chiot de trois semaines...*

Siloë se morigéna d'avoir eu une telle pensée. La jeune femme avait certes l'air un peu étourdie et fantasque, mais elle était prof. Enfin... D'après ce qu'elle disait... Siloë secoua la tête et se reprit. Non, elle n'avait aucune raison de mentir, ça ne l'aurait avancé à rien, mais... Siloë se retourna à nouveau vers la jeune femme, qui venait de trébucher et ramassait le dossier rempli de feuilles - de cours probablement - qu'elle venait de faire tomber. C'était vraiment prof, ça ? La jeune femme lui adressa un sourire lorsqu'elle remarqua qu'elle l'attendait, et la petite albinos lui renvoya un sourire gêné. Elle n'aurait su dire si elle était réellement heureuse d'être en sa compagnie... Chassant ces pensées négatives et purement subjective, Siloë décida d'entamer la conversation et se baisa pour l'aider à ramasser ses fiches.

- Vous... Vous êtes enseignante de musique depuis longtemps ?

[==> Chambre pâle]

*Héhéhé... Ca y est, tu es seule avec elle ma ptite Lindelle... Maintenant, il va falloir en apprendre plus sur elle... Mais on reste discrète ! J'espère qu'elle n'est pas aussi jeune qu'elle en a l'air, elle m'a l'air bien intéressante cette petite... Note bien, sa colocatrice aussi. Elle a l'air d'avoir un plus fort caractère...*

Lindelle continua de suivre une Siloë perturbée, la fixant comme une proie.

*On m'a toujours dit que j'avais l'instinct d'un hybride... Héhéhé...*

Quelques pas plus tard, Lindelle se rendit compte d'un changement : Siloë bougeait ! Il ne fallait surtout pas qu'elle sache qu'elle la scrutait aussi intensément, sinon, qu'est-ce qu'elle irait croire ?

*La tête, vite, tourner !!*

Lindelle tourna la tête de droite à gauche et plusieurs fois de suite, l'air de rien.

*Ca va pas marcher, ça va pas marcher... Oh mon dieu ça y est je suis morte ! Elle va porter plainte et je vais me faire virer ! Mon premier jour, c'est vraiment pas de pot... Je suis pas mieux que Donald moi. Voire pire. Si seulement je faisais couack !*

Lindelle eut un arrêt. Pourquoi ne pas s'entraîner à faire couack ? Elle ne pouvait pas tomber plus bas...

*Mais quelle idiote ! C'est pas le moment Lindelle ! Tu dois te concentrer et paraître naturelle. On y va coool...*

Lindelle prit une démarche...

*...Un peu trop cool là. On se calme. Et puis on avait dit naturelle, raaaaah ! Pourquoi est-ce que tu t'écoutes jamais ?*

Lindelle s'arrêta...

*La question n'est même pas à poser. Bref, passons.*

...et reprit son chemin.

*...*

Le vide.

*Roooh, et quand je repense à la petite qui m'a demandé pour jouer à la guitare électrique !! Et en plus elle connaît le hitsu no koto...*

Lindelle lâcha un petit "kyah !" et prit son sac dans ses bras qu'elle agita dans tous les sens, en prononçant une phrase à une vitesse phénoménale.

"Houtou ni totemo kawaii subarashiiiiiiiiiiiiiiii !!"

*SHPLLOM*

Soudain elle s'arrêta, toute blanche : elle sentait un poids sur ses pieds.

*Qu'est-ce que... ?*

Elle baissa les yeux : elle tenait son sac à l'envers ; tout s'était renversé.

"Ha ha ha ha ha..."

Elle lâcha un rire coincé... Qui ressemblait plus à celui d'une détraquée. Et pour couronner le tout, comme elle se baissait en restant totalement rigidifiée par la honte, elle trébucha. Quelle belle image de fierté... Elle releva les yeux, espérant que Siloë ne l'avait pas... Et si, elle l'avait vu. Elle tenta de sourire sans paraître gênée, à la vue du visage de la jeune fille, elle se dit que c'était râté. Mais "qui ne tente rien n'a rien". Et là, ô miracle, l'adolescente, dans son extrême bonté, vint aider l'enseignante pitoyable qui s'était vautrée derrière elle.

"Vous... Vous êtes enseignante de musique depuis longtemps ?
-C'est mon premier jour... Et je le suis seulement à mi-temps."

Lindelle commença à penser... Elle avait l'air si pitoyable que ça ? Ca se voyait TANT QUE CA que les élèves qu'elle avait vues ne la laissaient pas indifférente ? Allait-elle pouvoir arriver à réellement accomplir sa tâche de professeur ?

*POURQUOI ?!! CA SE VOIT TANT QUE CA ?!! C'est pas de ma faute, je voulais juste...*

Elle posa ses poings sur le sol et baissa la tête. Sa respiration s'entrecoupait de sanglots...

Soudain, tel un hybride ours, elle prit Siloë par les épaules et la secoua.

"JE JURE DE FAIRE DE MON MIEUX POUR VOUS APPRENDRE LES JOIES DE LA MUSIQUE !! JE LE VEUX !! PARDONNEZ MA MALADRESSE, Ô GRAND MAITRE DONT JE SUIS TROP INDIGNE DE PRONONCER LE NOM !!"

(super, la Ritsu-attitude =D au fait, pour mettre le code couleur, faut mettre [ color=#CC9999] en enlevant l'espace avant ^^)

Agenouillée à côté de l'enseignante, Siloë leva les yeux vers elle en l'entendant sangloter. Mais elle n'eut pas le temps de manifester sa surprise que la jeune femme la prit par les épaules et se mit à la secouer comme un prunier en hurlant. Siloë, abasourdie par la crise d'hystérie, se laissa ballotter quelques secondes sans réagir, puis revint brutalement à la réalité en sentant une douleur dans son dos. Elle-même avait fait une crise un peu plus tôt, et se faire démonter les épaules n'était pas le meilleur moyen de se reposer... Elle attrapa donc tant bien que mal les avant-bras de la jeune femme et tenta d'opposer ses maigres forces à l'énergie débordante dont l'enseignante faisait preuve.

- Euh... V-vraiment, je ne pensais pas à mal, je posais juste la question pour... S'il vous plaît, calmez-vous...

Elle ne savait pas vraiment comment prendre les gens dans ces cas-là - déjà qu'en temps normal elle avait du mal avec les relations sociales... Voyant que la jeune femme paraissait toujours aussi hystérique, elle tenta une nouvelle approche pour changer de sujet.

- Au fait... je ne me suis pas présentée, je m'appelle Siloë... Et vous ?

*Minable minable tout ça...*

Mais malgré le commentaire désobligeant de sa conscience, la question parut distraire la prof de son agitation - au grand soulagement des épaules de la jeune fille.

Dans sa crise d'hystérie l'enseignante discerna une phrase sur la jeune fille qu'elle prenait pour un pommier :

- Au fait... je ne me suis pas présentée, je m'appelle Siloë... Et vous ?
- Hein... ?

Elle s'arrêta et dessera les épaules de la jeune fille qui n'avait pas l'air bien en point...

-Lindelle...Lindelle Adamante.

Elle observa la jeune fille, un peu inquiète, et lâcha les épaules de Siloë avec une délicatesse dont elle ne pouvait pas souvent faire preuve si ses mains n'étaient pas sur un instrument.

-Je, euh... Veuillez m'excusez, je ne pensais pas... Enfin ça m'arrive de temps en temps... Voire souvent même ! De m'emporter comme ça... Je vous prie de m'excusez, vous n'avez pas l'air très en forme... Je suis un peu lourde des fois...

Lindelle finit de ranger ses feuilles et se releva en époussetant sa robe. Elle plongea ses yeux das ceux de Siloë et mit une jambe en avant pour se baisser et tendre son bras à la hauteur de la jeune fille dans un grand geste théâtral. Elle ne faisait pas exprès d'amplifier ses gestes, mais c'était une façon pour elle de se calmer, de faire des gestes lents.
Se sentant coupable, elle demanda à la jeune fille si elle allait bien.

Quand elle lui prendrait la main et commencerait à se lever, elle la soutiendrait de sa main libre, en la posant sous le bras de la lycéenne.

Siloë ne put retenir un soupir de soulagement. Enfin la jeune femme acceptait de cesser de la prendre pour un hochet ! L'enseignante dut se rendre compte du piteux état dans lequel elle avait mis la jeune fille, car prit un air contrit et se présenta. Lindelle... Joli comme prénom. Elle se mit à s'excuser, ce qui embarrassa un peu Siloë. Bien que la folie passagère de la jeune femme ait été un peu brutale, elle n'avait pas l'habitude que les gens s'excuse pour elle, c'était plutôt l'inverse normalement....

- Non non, ce n'est rien, je.... j'ai juste été surprise...

Elle leva des yeux étonnés vers la main que lui tendait Lindelle, et croisa ses yeux par mégarde. Elle détourna rapidement le regard. Il ne fallait pas qu'elle croise les yeux des gens. Elle y lisait parfois des choses qu'elle n'aurait pas dû voir, et qui la mettaient encore plus mal à l'aise vis a vis d'eux.

Elle accepta néanmoins la main tendue, mais Lindelle n'avait pas dû la penser aussi légère et fragile car elle mit un peu trop de force dans son geste pour l'aider à se relever et la petite albinos se retrouva étalée au sol, entourée par les feuilles qui avaient encore une fois cédé à la tentation d'aller embrasser les dalles de pierre.

- Oooh... Siloë se releva sur un coude. Je suis vraiment désolée, je suis vraiment...

Elle se rendit compte qu'elle était allongée sur la jeune femme, qu'elle avait sans s'en rendre compte renversé dans son élan. Elle sentit le rouge lui monter aux joues mais n'arrivait pas à détacher ses yeux de ceux de Lindelle.

- ...maladroite...

Lorsqu'elle tendit sa main, Lindelle eut le temps de croiser des yeux particuliers qu'elle n'eut pas le temps de définir car cette rencontre demeura furtive. Jusque là, elle avait laissé une certaine grâce envahir ses mouvements, mais au moment où la frêle jeune fille accepta son adjuvance, sa bonne humeur lui revint... Ainsi que son énergie. Le sourire de son visage se redessina tandis qu'elle attira la lycéenne vers elle... Un peu trop franchement.
Tellement franchement qu'elle ne se rendit compte de ce qui lui arrivait simplement lorsqu'elle entendit la voix de la jeune fille :

"Oooh... Je suis vraiment désolée, je suis vraiment... Maladroite..."

Les yeux de Lindelle restèrent grands ouverts. Elle sentait ce corps sur elle... Très léger d'ailleurs... Et même un peu trop. Elle sentit encore moins ce poids lorsque Siloë se redressa en s'appuyant sur son coude pour venir par mégarde plonger ses yeux dans ceux de Lindelle. Cette dernière ne bougea pas, ne comprenant pas tout à fait ce qu'il se passait. Ou plutôt ne sachant que faire. Ou plutôt observant les yeux de l'adolescente... Ils étaient d'une couleur particulière...

"Je ne savais pas que les humains pouvaient avoir des yeux aussi... Spéciaux..."

Elle pensa malgré elle à voix haute et ne s'en rendit pas compte, bien trop occupée à tenter de capturer un mot pour définir ce regard. Mais rien. Elle du se résigner à cerner ses yeux admirables. Et au cours de ce petit laps de temps, elle se rendit compte qu'elles étaient l'une sur l'autre étendues à même le sol froid, au beau milieu d'un couloir et au coeur de feuilles éparpillées sur le sol. La musicienne se ressaisit et se redressa, prenant la jeune fille par les épaules pour qu'elle se redresse. Mais cette fois-ci, elle était plus douce et s'adaptait à ce corps que l'on croirait presque pouvoir briser d'un souffle.

"Pardonnez-moi, j'ai un peu de mal à me contrôler... "

Elle avait du mal à formuler ses phrases, elle était encore perturbée.

"De temps à autres..."

- Je ne savais pas que les humains pouvaient avoir des yeux aussi... spéciaux...

Siloë sentit son corps se figer. Ses yeux... Elle avait croisé son regard... Elle battit des paupières et fixa son attention sur les dalles du sol. Elle savait que ses yeux rouges dérangeaient les gens, les mettaient mal à l'aise... C'était à cause d'eux que les gens s'éloignaient, murmuraient dans son dos, l'évitaient... L'idée que Lindelle puisse avoir cette réaction lui fit mal au cœur, elle n'aurait su dire pourquoi. Malgré sa fantaisie, la jeune enseignante possédait un charme qui la rendait attachante, même aux yeux d'une personne aussi craintive des relations sociales que Siloë.

Les yeux toujours fixés au sol, elle se rendit compte du désordre qu'elle avait mis dans les papiers de la jeune femme. Encore une fois, elle mettait les gens dans l'embarras... Elle commença fébrilement à ramasser les feuilles éparpillées autour d'elle, mais les mains de Lindelle se posèrent sur ses épaules et l'aidèrent à se redresser. S'écartant de la jeune femme, Siloë garda le visage baissé, une légère rougeur aux joues.

- Non non, vous... vous n'y êtes pour rien... C'est moi qui aurait dû faire attention, à cause de moi toutes vos feuilles sont à nouveau par terre, et...

Evitant de regarder l'enseignante, son regard se posa sur un des feuillets étalés au sol et se figea. Elle se pencha lentement et, sentant son cœur se serrer, tendit des doigts timides vers la feuille où s'étalaient des lignes d'une écriture fine et déliée. Elle battit des paupières pour chasser ses larmes naissantes et demanda d'une toute petite voix :

- Vous... Vous avez des chants haibanes ?

Elle battit une nouvelle fois des paupières et, se ressaisissant un peu, commença à rassembler les feuilles autour d'elle.

- Désolée, ça-ça ne me regardait pas...

Des chants haibanes. Sa sœur lui en chantait souvent quand elle était petite. Elle adorait ces moments, où elle se sentait portée par la voix douce de l'hybride-chat comme sur les ailes du vent évoquées par la mélodie. Elle se sentait vraiment voler... Mais elle... Elle n'avait pas le don de sa sœur pour le chant. Elle n'en avait aucun. Les yeux baissés, elle continuait à ramasser les feuilles, agenouillée au sol.

Lindelle regarda la jeune lycéenne s'affairer à mettre de l'ordre dans ses papiers... Elle était très mignonne... Mais elle n'avait toujours pas perdu cette inquiétude qui plânait au-dessus d'elle... Mais elle avait maintenant de légères traces rosâtres qui ornaient son visage... Lindelle sourit en la voyant.

"Non non, vous... vous n'y êtes pour rien... C'est moi qui aurait dû faire attention, à cause de moi toutes vos feuilles sont à nouveau par terre, et...
-Bah, c'est rien, j'avais qu'à me contrôler... C'est pourtant assez fréquent que je m'emporte comme..."

L'enseignante n'eut pas le temps de s'engager dans une tirade -ce qui la frustra l'espace d'un instant mais qui disparu presque instantément- que déjà les yeux de pourpre avaient été attrappés par l'une des feuilles.

"Vous... Vous avez des chants haibanes ?"

La douce et petite voix de son guide fit sourire Lindelle de plus belle. Elle avait reconnu la langue des haibane, ce qui ne s'était pas tellement passé parmi tous les humains que connaissait Lindelle.
Mais bientôt la lycéenne à la chevelure blanche se rétracta et s'excusa. Pendant quelques secondes, on aurait cru que le nuage qui lui pesait s'était amenuisé... La flûtiste se redressa et s'agenouilla aux côtés de Siloë, l'aidant à ranger ses feuilles. Après tout, c'étaient les siennes et il fallait que ce soit une douce jeune damoiselle qui se charge de les remettre en ordre.
Pendant tout ce temps, Siloë avait évité les yeux de Lindelle, mais là, la musicienne sentit quelque chose... Elle se baissa pour ramasser une feuille plus loin, en profitant pour jeter un coup d'oeil rapide et discret sur le visage de la lycéenne. Il s'était affublé d'une tristesse qui s'exprimait au travers de larmes mal dissimulées dans des yeux si humides. Le sourire de l'enseignante s'estompa, mais se redessina bientôt, chargé de bienveillance.

Ce qu'elle avait voulu, en prenant cet emploi, c'était de pouvoir s'occuper des autres, de pouvoir les passioner par un langage universel. Elle amait se servir de la musique pour tout dire et tout faire, c'était beaucoup plus exact que ces mots trops précis et trop vagues. Et quand bien même on n'entendrait la musique différemment, alors elle permettrait de se concentrer sur autre chose, sans pour autant fuir, et d'être plus fidèle à la complexité de l'esprit que des termes définis.
Si l'étudiante avait reconnu la langue des haibane, alors elle devait connaître cette chanson... C'était l'une des plus connues, une très simple mais très jolie. Elle était agréable à chanter, alors elle devait sûrement être agréable à enseigner. C'était ce qu'elle pensait.

"Dites-moi, Siloë... D'où connaissez-vous ce langage ?"

Elle prit la parole après avoir retrouvé la feuille qui avait capté le regard de l'albinos dans ses filets :

"Est-ce que vous voudriez venir à mon cours dans une heure ? Bien sûr si vous êtes libres... Vous avez une petite mais une très belle voix, il faudrait la sortir un peu plus, ce serait quelque chose de bien je pense."

Elle hésita un peu avant de reprendre la parole, puis regarda la l'étudiante en lui souriant :

"Ou sinon... Je vous demanderais la faveur de chanter cette chanson... Je n'accepterai aucun refus pour cette seconde requête !"

Elle prononça ces mots sur un ton léger, histoire de détendre l'atmosphère tout en insistant sur le fait qu'elle voulait pousser la jeune fille à chanter, ne seraient-ce que quelques mots...

Affairée à rassembler les feuilles éparpillées, Siloë ne s'était pas rendue compte que Lindelle la regardait. Aussi, elle ne put s'empêcher de sursauter lorsque l'enseignante s'adressa à elle.

- Dites-moi, Siloë... D'où connaissez-vous ce langage ?

La jeune fille s'empourpra et baissa la tête vers les feuilles qu'elle avait réuni sur ses genoux, faisant mine d'être occupée à les remettre en ordre. Mais ignorer la question de l'enseignante serait impoli...

- Je... Ma sœur me chantait cette chanson, et... J'ai commencé à apprendre la langue... Mais je ne suis pas très douée...

Ce qu'elle ne voulait pas avouer, c'est qu'elle s'était réfugiée dans l'étude des langues pour fuir l'atmosphère oppressante qui l'accablait à l'école, mise à l'écart par ses camarades et cible de tous les quolibets moqueurs des enfants. L'apprentissage de la langue fluide des Haibanes lui permettait de s'échapper, tout comme ses longues fugues sur les hauts plateaux lui donnaient un éphémère sentiment de liberté. Liberté... C'était le sentiment le plus fort qui ressortait des chansons haibanes... Seuls des êtres aussi magnifiques et gracieux que les Haibanes pouvait composer des mélodies donnant l'impression d'être porté sur les ailes du vent... La voix de Lindelle la ramena à la réalité, et elle se rendit compte avec consternation que la jeune femme avait retrouvé le feuillet qui l'avait tant perturbé.

- Est-ce que vous voudriez venir à mon cours dans une heure ? Bien sûr si vous êtes libre... Vous avez une petite mais une très belle voix, il faudrait la sortir un peu plus, ce serait quelque chose de bien je pense.

Les yeux de Siloë s'agrandirent de stupeur, et elle sentit ses joues s'embraser. Comment l'enseignante pouvait-elle lui faire un compliment, alors qu'elle était aussi maladroite, et... Et venir à son cours de musique ? Siloë baissa la tête pour tenter de dissimuler sa rougeur.

- Je... Je n'ai pas encore mon emploi du temps, en fait je devais aller voir le CPE pour ça... Non pas que je n'aimerais pas, mais...

En fait, l'idée d'aller à son cours la ravissait autant qu'elle la paniquait. Elle avait réussi à passer inaperçue pendant une bonne partie de sa scolarité, condition sine qua none pour espérer passer une année sans encombres ni commentaires, mais si la prof la connaissait, impossible d'échapper à son attention ! Siloë en était toujours à peser le pour et le contre et n'avait pas remarqué l'hésitation de Lindelle avant qu'elle ne reprenne.

- Ou sinon... Je vous demanderais la faveur de chanter cette chanson... Je n'accepterai aucun refus pour cette seconde requête !

D'écarlates, les joues de Siloë virèrent au blanc crayeux. Elle ? Chanter ? Elle en était bien incapable ! Et plus encore s'il s'agissait d'une ballade haibane ! Comment pourrai-elle mettre tous les sentiments de légèreté et d'espace, elle qui vivait renfermée sur elle-même, sans cesse oppressée par les pensées des autres ? Elle était tout le contraire des Haibanes qui avaient écrit cette chanson !

- Non, je... Je ne peux vraiment pas... Je ne sais pas chanter, c'est... Je n'ai aucun don pour ça ! Je n'ai aucun don tout court !

Une note de panique et de désespoir tinta dans sa voix. Elle finit de ramasser à la hâte les dernières feuilles restantes et les déposa devant la jeune femme qui la regardait avec des yeux emplis de surprise, avant de se relever.

- Il faut qu'on aille au bureau du CPE... Il risque d'être fermé ensuite...

La jeune fille tourna le dos à l'enseignante et se mit à avancer vers l'aile réservée aux dortoirs des garçons. Se mordant les lèvres, elle espéra que Lindelle n'ait pas remarqué les larmes dans ses yeux.

Lindelle sentit qu'elle avait remuée le couteau dans une plaie ouverte depuis longtemps. Elle se calma un peu, déçue d'elle-même. Il fallait toujours qu'elle fonce tête baissée... Enfin !

"Vous dites que vous n'avez aucun don, mais c'est rare de trouver des gens qui parlent la langue des Haibane..."

Elle continua de marcher près de la jeune fille, puis poussa un grand soupir.

"Et puis de toute façon, ça n'existe pas les dons ! Juste les capacités ! Et pour avoir une capacité, il suffit juste de travailler et de perséverer !"

Elle arbora un grand sourire pour rassurer la jeune fille.

"Avez-vous déjà été voir une chorale d'haibane ? C'est réellement... Enfin il y a quelque chose de plus que dans les chorale des autres peuples, c'est sidérant... Enfin si ça vous intéresse, je pourrais vous prêter un DVD, c'est une de mes amies qui me l'a filmé. Elle pourrait être pro ! Avec un talent pareil... Enfin, je m'égare."

L'enseignante, s'étant rendue compte du fait qu'elle avait été un peu brusque, avait préféré un air insouciant pour sécher les larmes de la jeune fille, sans lui montrer qu'elle avait compris qu'elle pleurait. L'étudiante cachait ses larmes, alors il ne fallait pas dire qu'elles avaient tout de même été vues...